La Manche a vu naître un grand nombre de personnages célèbres dont vous ignoriez peut-être l’origine. D’autres y sont passés, l’ont aimée, y on vécu. Voici un petit aperçu de ces personnages dont certains vous parleront sûrement.

Jules Barbey d’Aurevilly (Saint-Sauveur-le-Vicomte, 1808-Paris, 1889)

« Intoxiqué de Byron » en poésie, écrivain politique qui alla dans un amour romantique des causes désespérées et par défi à contre-courant de son temps, critique littéraire dont la bête noire fut le Naturalisme, Jules Barbey d’Aurevilly a été inspiré, dans ses romans par les paysages du Cotentin, par les récits entendus dans son enfance, par les légendes et croyances populaires de son pays. Son œuvre normande le classe parmi les premiers régionalistes. Des touches de réalisme la marquent jusque dans le fantastique et l’hallucinant. Son style, violent et délicat, a une somptuosité, sa phrase une ampleur qui le rapprochent parfois de Chateaubriand. Le cinéma s’est emparé de ses Diaboliques, et de son Ensorcelée. On a décelé dans Ce qui ne meurt pas une sensibilité déjà proustienne. Si l’œuvre romanesque de Barbey d’Aurevilly reflète les hantises de son univers intérieur, son journal et surtout sa correspondance laissent mieux deviner l’homme que masqua l’écrivain. Pontmartin a raillé le dandy catholique et monarchiste « qui pense comme M. de Maistre et écrit comme le marquis de Sade ». Retenons plutôt ce jugement d’un autre contemporain, Paul de Saint-Victor : « Le polémiste effraye souvent, l’artiste étonne et charme toujours ».

Louis Beuve (Quettreville-sur-Sienne, 1869-1949)

« À lire ses chansons et ses poèmes, on se croit transporté au milieu des paysans », a écrit Remy de Gourmont. Son patois était celui du coin de Lessay, berceau de ses ancêtres. Il a chanté, dans le « loceis » de ses pères, la grande lande, et exalté l’œuvre de Barbey d’Aurevilly. Plusieurs pièces qu’il composa à la gloire de sa chère province comptent parmi les chefs- d’œuvre de notre littérature dialectale et reflètent une très riche sensibilité. Un roman autobiographique et inachevé de ce pionnier du Bouais-Jan, la Lettre à la morte montre en lui « l’homme d’un grand rêve » dont l’ambition fut de renormanniser la Normandie. L’une des hautes figures du régionalisme bas-normand.

Annette Boutiaux (Nevers, 1851-Le Mont Saint-Michel, 1931)

La « Mère Poulard » qui a rendu célèbre sa fameuse omelette était femme de chambre au service d’Édouard, Corroyer, architecte en chef des Monuments historiques chargé de la restauration de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Anne, dite Annette, épouse le fils du boulanger du Mont. Afflux des pélerins, travail acharné des nouveaux hôteliers « Poulard aîné » et « secret » de fabrication de l’omelette ont fait le reste.

Félix Buhot (Valognes, 1847-Paris, 1898)

Peintre et graveur aquafortiste, cet artiste prisé à la fin de sa vie en Amérique, connaît chez nous, depuis quelques lustres, un regain de faveur dont témoigne la cote de ses plus belles estampes. Tempérament inquiet et délicat, technicien inventif comme « cuisinier du cuivre », il a reflété dans son œuvre gravée la « mélancolie romantique » et les hantises baudelairiennes. À Londres comme à Paris et à Valognes, son envoûtante cité natale, il a été sensible aux ciels chargés, aux longues pluies, dans des rues où les passants ont l’air de spectres. Sous son burin, le pittoresque fait sentir « les accords et secrets des choses ». Peintre des convois funèbres, de la Taverne du Bagne, et des Esprits des Villes Mortes, Félix Buhot a été l’illustrateur de plusieurs romans de Barbey d’Aurevilly, et des Lettres de mon Moulin d’Alphonse Daudet.

Saint Auguste Chapdelaine (La Rochelle normande, 1814-province de Kouang-Si, [Chine], 1856)

Missionnaire de la Société des Missions étrangères de Paris, il part pour la Chine en 1852, d’abord à Hong-Kong pendant deux ans puis il part pour le Kouang-Si où il subit le martyr. Il a été béatifié en 1900 et canonisé en 2000.

Louis Costel (Saint-Sauveur-Lendelin, 1930-2002)

Prêtre et exorciste du diocèse, Louis Costel restera longtemps comme un romancier, fin observateur de l’âme cotentine. Bonnes gens fut adapté par la télévision en 1982.

Guy Degrenne (Tinchebray [Orne], 1925-Granville, 2006)

Le cancre de la publicité masque l’entreprise qui démarre après guerre dans la forge des Vallées, à Sourdeval, la production de couverts. Au retrait de son père et de son frère, Guy Degrenne est le premier à démocratiser le couvert en inox… et à le faire savoir par une publicité devenue un classique : « Il est aujourd’hui le premier ! ». La réussite transfèrera le siège de la société, puis l’usine, à Vire.

Christian Dior (Granville, 1905-Montecatini [Italie], 1957)

Fils d’un industriel granvillais. Après avoir ouvert une galerie d’art à Paris, il devient dessinateur  de  mode  chez  Agnès  et  Schiaparelli, puis travaille comme modéliste chez Piguet (1938) et chez Lelong (1941). En 1946, soutenu financièrement par Boussac, il fonde sa propre maison de couture et trouve tout de suite le succès avec le style « new look ». Son œuvre a été poursuivie par Yves Saint-Laurent.

Bertrand du Guesclin (Broons[I.-et-V.], vers 1320-Châteauneuf-de-Randon [Lozère], 1380)

Le célèbre connétable de France était le fils de Jeanne Malemains qui possédait les seigneuries de  Saint-Hilaire-du-Harcouët  et  de  Sacey.  Il  participa  à  diverses  campagnes  dans l’Avranchin et le Cotentin, spécialement en 1364 et 1378.

Yves-Marie Froidevaux (1907-Paris, 1983)

On doit à ce grand architecte parisien la restauration de l’abbaye de Lessay, du Mont Saint- Michel, de Notre-Dame de Saint-Lô et de beaucoup d’autres lieux de culte de la Manche.

Jean Grémillon (Bayeux, 1901-Paris, 1959)

Son enfance se passa à Cerisy-la-Forêt et il revint souvent dans la propriété familiale. Après des documentaires, il réalise des longs-métrages dont certains remplissent encore les ciné- clubs : Gueule d’amour, avec Jean Gabin, Remorques, avec Jean Gabin et Michèle Morgan, Le Ciel est à vous, avec Madeleine Renaud et Charles Vanel. En 1946, il se consacre à nouveau au documentaire avec Six juin à l’aube, contribution capitale à la Normandie libérée et meurtrie.

Cardinal Georges Grente (Percy, 1872-Le Mans [Sarthe], 1959)

L’Académie française ouvrit tôt ses portes à l’archevêque-évêque du Mans, prélat grand lettré qui appliqua lui-même, en puriste, les conseils contenus dans son traité de la composition et du style, comme l’attestent ses Œuvres oratoires et pastorales. Biographe de sainte Marie-Madeleine Postel, il a traduit son attachement à sa province natale dans ses opuscules tels que Les Normands, nos pères, et Dix siècles de Cotentin normand.

Victor Grignard (Cherbourg, 1871- Lyon [Rhône], 1935)

« Il découvrit en 1900 la technique des organo-magnésiens, l’une des plus souples méthodes de synthèse organique. » Prix Nobel de chimie (1912), membre de l’Académie des sciences (1926).

Jeanne Le Calvé, dite « la Mère Denis » (Pontivy, 1893-Pont-l’Evêque [Calvados], 1989)

D’abord garde-barrière, Mme Denis s’installa à Carteret comme lavandière. Sa posture, sa tête, sa gouaille inspirèrent Pierre Bâton qui lui fit signer un contrat pour vanter les machines à laver « Vedette ». Un conte de fée sur le tard…

Auguste Letenneur (Roncey, 1932-1916)

L’exemple-type du colporteur qui, après de nombreuses années de travail acharné, se retrouve à la tête de magasins de nouveautés dans toute la région : Saint-Lô, Coutances, Carentan, Valognes, Vire, Caen, Bayeux, Villedieu, Isigny-sur-Mer, Flers, Aunay-sur-Odon, Sourdeval…. Pourtant, de nos jours, on ne retient qu’une chose le concernant : l’édification d’un mausolée démesuré dans son village natal, plus haut que l’église elle-même !

Urbain Le Verrier (Saint-Lô, 1811-Paris, 1877)

Astronome, il découvrit en 1846 la planète Neptune. Les mathématiciens s’étonnèrent de l’ensemble des calculs qu’il parvint à grouper et à interpréter avec précision dans les variations orbitales du système solaire. Directeur de l’Observatoire de Paris en 1854, il ne dédaigna pas les mandats électifs : député de la Manche en 1849 et conseiller général de Saint-Malo- de-la-Lande, il présida l’assemblée départementale et eut des démêlés avec un autre parlementaire de la Manche sous le Second Empire, le libéral Léonor Havin.

Émile Littré (Paris, 1801-1881)

Avranches a donné le nom d’Émile Littré à son lycée en souvenir des ancêtres de l’auteur du célèbre dictionnaire, qui furent sauniers aux Bas-Courtils, à Vains, puis armuriers, puis orfèvres, bourgeois de l’Athènes normande. Le trésor de l’église Saint-Gervais conserve un ostensoir ciselé par le grand-père du philologue et philosophe positiviste, disciple d’Auguste Comte.

Jean Marais (Cherbourg, 1913-Cannes [Alpes-Maritimes], 1998)

De son vrai nom, Jean-Alfred Villain-Marais, il a connu la gloire comme acteur, de théâtre tout d’abord puis de cinéma. Sa liaison amoureuse avec Jean Cocteau (1889-1963), qu’il rencontre en 1937, a défrayé la chronique du Tout Paris. Il était aussi écrivain, peintre, metteur en scène, sculpteur et potier reconnu. Il a quitté Cherbourg, sa ville natale, à l’âge de quatre ans.

Maurice Marland (Falaise [Calvados], 1888-La Lucerne-d’Outremer, 1944)

Professeur à l’école primaire supérieure de Granville, il crée le premier groupe de Résistance dès juin 1940. Arrêté en 1941 et 1943, il fut relâché faute de preuves. Arrêté le 22 juillet 1944, il est libéré après son interrogatoire mais sera abattu dans les bois de La Lucerne.

Théophile Maupas (Montgardon, 1874-Souain [Marne], 1915)

Figure emblématique des fusillés de Souain (avec Girard et Lefoulon, eux aussi de la Manche, et Lechat, d’Ille-et-Vilaine), cet instituteur du Chefresne dut à son épouse Blanche Herpin, institutrice elle aussi, de ne pas sombrer dans l’oubli et le déshonneur. Avec l’appui de la Ligue des Droits de l’Homme, Maupas et ses camarades d’infortune fut réhabilité en 1934. Le monument commémoratif des instituteurs de la Manche morts au combat ne fut érigé dans l’enceinte de l’Ecole normale d’instituteurs de Saint-Lô qu’en décembre de cette même année !

Jean-François Millet (Gréville-Hague, 1815-Barbizon [Seine-et-Marne], 1875)

L’enfance du peintre, au hameau de Gruchy, dans l’une des contrées les plus sauvages de la Hague, où les paysans arrachaient leur subsistance à un sol aride, par des moyens encore primitifs, et l’ambiance religieuse qui régnait chez les Millet ont marqué son œuvre  d’un cachet d’austérité et de grandeur biblique. Son Angélus (1857) lui a valu une renommée universelle. D’abord portraitiste, il a adopté, à partir de son installation à Barbizon, un style grave et tendu dans la représentation de scènes de la vie rurale et des travaux des champs. Jean- François Millet fut de ceux qui ouvrirent la voie à l’impressionisme. Il a influencé Van Gogh. Certaines de ses toiles annoncent Gauguin et il a dessiné un crépuscule à la manière de Seurat. À sa mort naissait la peinture moderne.

Geoffroy de Montbray (+ 1093)

Cet évêque releva la cathédrale de Coutances. Il se fit financer, pour cela, par les Normands d’Italie du sud. Il sera aux côtés de Guillaume à Hastings.

Charles Julliot de la Morandière (Saint-Lô, 1887-Granville, 1971)

Ce juriste, directeur du service sténographique du Sénat, restera comme l’auteur de Histoire de Granville et Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique septentrionale. Il avait présidé Le pays de Granville puis la Société d’archéologie et d’histoire de la Manche.

Guillaume Postel (Barenton, 1510-Paris, 1581)

Enfant d’une famille pauvre, Guillaume Postel alla vivre et s’instruire à Paris dans l’entourage du monde savant. Régnait alors une intense fermentation intellectuelle. Ayant appris le grec, l’hébreu, l’arabe, il alla en Orient à la recherche de manuscrits. La concorde universelle fut l’un de ses rêves. Il enseigna à l’université de Vienne. Les divagations théologiques de ce normand qui loucha du côté de la Kabbale ne doivent pas faire oublier ses mérites d’orientaliste, de traducteur en arabe du Nouveau Testament, ses talents de polyglotte et de musicien, sa science de grammairien et de pionnier de la philologie comparée.

Jacques Prévert (Neuilly [Hauts-de-Seine], 1900-Omonville-la-Petite, 1977)

Ce poète, dont Paroles reste le recueil le plus célèbre, parolier et scénariste était né d’un père breton et d’une mère auvergnate. Il a acheté en 1970 une petite propriété, le Val, à Omonville-la-Petite (canton de Beaumont-Hague). Les années passant, il y fit des séjours de plus en plus prolongés. Malade, il ne quitta plus cette maison où il est mort le 11 avril 1977.

Jacques Rouland (Saint-Sauveur-le-Vicomte, 1930-Hémécourt [Oise], 2002)

« Gardez le sourire » sur Europe 1, « La caméra invisible » et « Monsieur Cinéma » à la télévision. Jacques et ses frères, dont l’ineffable Jean-Paul, faisaient partie de la bande de Pierre Bellemare, Pierre Tchernia, et autres pionniers de la télévision. Leur père était teinturier à Saint-Sauveur et, durant l’Occupation, ils trouvèrent refuge chez une famille de l’Avranchin.

Alexis de Tocqueville (Paris, 1805-Cannes, 1859)

Un village du Val-de-Saire, Tocqueville, a été le berceau de ses pères, et là, au château qu’ils lui ont légué, dans le calme de la campagne cotentinaise, il a rédigé une grande partie de sa correspondance et mûri l’ouvrage qui fut une géniale analyse des causes de la Révolution, L’Ancien Régime et la Révolution (1856), qui contient des pages prophétiques sur l’évolution de la société moderne. Alexis de Tocqueville avait publié dès 1835-1839, en deux parties, La Démocratie en Amérique, qui le rendit célèbre et lui ouvrit les portes de l’Académie française. Il y discernait comme providentiel « le développement graduel de l’égalité des conditions » et prévoyait que deux super-puissances domineraient le monde. Mais ses « goûts de tête » pour les institutions nouvelles laissaient intacts ses « instincts fondamentaux », d’aristocrate ami de la liberté, mais qui haïssait la démagogie. Il a redouté une organisation sociale dressant sur une multitude d’individus semblables « un monstrueux pouvoir tutélaire », et surtout « l’action désordonnée des masses, leur intrusion violente et mal éclairée dans les affaires ». Homme d’Etat, il fut député, président du conseil général de la Manche et ministre éphémère de la IIe République ; le coup d’État de 1851 mit fin à sa carrière politique. L’influence de l’historien et sociologue normand, en qui l’on salue l’un des esprits les plus clairvoyants de son temps, reste considérable dans le monde anglo-saxon. Valognes est le siège d’une Fondation Alexis de Tocqueville qui a institué un prix en hommage à sa mémoire, pour récompenser un écrivain héritier de sa pensée.

Crédit photo : wikemedia – Photo de Jean Marais par Carl Van Vechten 1949

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